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Avons-nous le même Dieu ?

Publié le par Matthieu Richelle

3_religions.jpgJudaïsme, christianisme et Islam s’accordent sur un point fondamental : le monothéisme. Cependant, le fait de ne croire tous qu’en un seul Dieu signifie-t-il qu’il s’agit nécessairement du même ? Certes, ces trois religions identifient leur Dieu à celui d’Abraham. Mais dès que l’on entre dans les détails (Trinité…), les choses se compliquent. Or l’histoire biblique peut orienter la réflexion des chrétiens sur ce sujet, car la question interreligieuse s’y est posée à chaque étape.

Trois manières de parler de Dieu

Dans l’Ancien Testament, on rencontre trois façons d’évoquer Dieu. Pour s’exprimer de façon très générale, les auteurs ne craignent pas d’utiliser des noms semblables à ceux des autres religions. El constitue le terme le plus commun, comme « Dieu » en français. Or c’est l’équivalent exact de Ilu, dieu suprême du panthéon syrien, connu au 13e s. av. J.-C. par les textes de la cité d’Ougarit. De même pour Elyon (« Très-Haut »). Mais grâce au tétragramme (YHWH) qui sert de « nom propre », les auteurs disposent d’une manière particulière de désigner sans ambiguïté le Dieu d’Israël. Enfin, en cas de confrontation interreligieuse (1 R 18…), les prophètes l’affirment nettement : « c’est YHWH qui est El ! ».

Même constat dans le Nouveau Testament. Au plan général, on utilise Théos (« Dieu »). Et Jean n’hésite pas à parler du Logos, terme stoïcien (Jn 1) ! Mais YHWH se trouve derrière le grec Kurios (« Seigneur »). Enfin, on affirme que « Jésus-Christ est Kurios » (Ph 2.11) et on le qualifie même de Théos (Jn 1.3 ; 1 Jn 5.20…).

En somme, la Bible atteste une manière générale de parler de Dieu (El, Théos), une identification spécifique du Dieu révélé (YHWH, Kurios) et une affirmation qu’il s’agit du seul vrai Dieu (El=YHWH, Christ est Kurios ou Théos).

Des situations interreligieuses

Nous allons voir que la même logique est sous-jacente aux réactions de Jésus et des apôtres face à des « situations interreligieuses » :

  • Entre juifs et samaritains. À la femme samaritaine, membre d’une communauté n’acceptant que le Pentateuque, Jésus dit : « vous adorez ce que vous ne connaissez pas » (Jn 4.22).
  • Entre chrétiens et grecs. À des Athéniens qui ont un autel dédié « au dieu inconnu », Paul déclare : « Ce que vous vénérez sans le connaître, c’est cela même que, moi, je vous annonce » (Ac 17.23).
  • Entre juifs. À des coreligionnaires, Jésus : « C’est mon Père qui me glorifie, lui dont vous, vous dites : ‘Il est notre Dieu !’ Et vous ne le connaissez pas ; moi, je le connais » (Jn 8.55, cp. Jér 2.8).
  • Entre chrétiens. Évoquant des « chrétiens » niant des enseignements essentiels sur Jésus, Jean affirme que quiconque « ne demeure pas dans l’enseignement du Christ n’a pas Dieu » (2 Jn 9). « Avoir Dieu » ici est l’équivalent de « connaître Dieu » ailleurs.

Que nous apprennent ces passages ? D’abord, il n’y est pas question de nier que l’on se réfère bien au même Dieu. Paul pousse même très loin le dialogue interreligieux sur ce point. On retrouve la logique d’une référence générale à Dieu. Mais, ensuite, ce que l’on croit au sujet de Dieu se révèle si crucial que des divergences dans la foi (révélation tronquée chez les Samaritains, religion juive mal vécue, christologie déficiente) peuvent aboutir à des différences profondes, parfois au sein d’une même religion ! Réapparaît ici l’importance des spécificités du Dieu révélé. Enfin, on peut très bien « adorer » (Jn 4) ou « vénérer » (Ac 17) un Dieu, voire être de la même religion (Jn 8 ; 2 Jn)… sans réellement le connaître, au sens biblique – être en relation de communion avec lui. Ressurgit ici le thème de l’identité entre le Dieu général et le Dieu révélé, qui n’est autre que Jésus selon le Nouveau Testament.

En un mot, on peut se référer à Dieu tout en s’illusionnant à son sujet par méprise quant à la révélation, au point de ne pas être vraiment en communion avec lui. Au plan collectif, des personnes peuvent « avoir le même Dieu » au sens d’une référence très générale, sans partager le même contenu de foi à son propos ; surtout, ce dernier point peut entraîner que certaines d’entre ces personnes « ne connaissent pas » le vrai Dieu.

La situation présente

Cette triple distinction permet de mieux penser la situation actuelle. En premier lieu, juifs, chrétiens et musulmans se réfèrent au même Dieu unique, celui d’Abraham. En ce sens, on peut estimer que les termes El, Théos, mais aussi Allah en arabe (terme qui existait déjà avant Mahomet dans les religions préislamiques) renvoient, dans un discours d’ordre général, au même Dieu. En fait, la distinction entre deux niveaux de langage, l’un général (El, « Dieu », Allah), l’autre particulier (YHWH, Kurios, Christ), s’inspire d’une pratique biblique. Elle est utile pour créer un espace de discussion fondé sur les points communs, mais aussi pour affirmer les différences tout en respectant l’autre.

En matière de différences, les chrétiens apportent des précisions sur le Dieu révélé (Christ, Trinité), inacceptables pour les juifs (non messianiques) comme pour les musulmans. De même, le Coran constitue un discours supplémentaire sur Dieu que ne reconnaissent pas les autres. D’aucuns estimeront que le fait même de décrire Dieu en des termes inexacts, ou de refuser la révélation apportée en Christ, montre qu’il ne s’agit pas du même Dieu…  D’un autre côté, comment un chrétien refuserait-il d’identifier son Seigneur et celui du judaïsme actuel, fondé sur l’Ancien Testament ? D’autres diront donc qu’il s’agit encore, dans ces religions, du même Dieu mais que simplement, certains en ont une vision inadéquate.

Cette question de nuance paraît cependant oiseuse au regard des réalités pratiques. En effet, de toute manière, les juifs et musulmans qui refusent les affirmations du Nouveau Testament au sujet de Christ n’accepteront pas de voir en lui leur Dieu. Il n’y a donc pas de symétrie possible, et cette question n’affecte pas tant le dialogue interreligieux que la conscience du chrétien. Or le langage biblique, qui passe systématiquement au niveau d’analyse le plus profond, celui de la « connaissance relationnelle » de Dieu, le ramène plutôt à sa véritable responsabilité : proposer humblement l’Évangile à ses frères en humanité.

Matthieu  Richelle

 

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